1-La montée jusqu’au campement
Je soupçonne mon sac à dos de vouloir m’assassiner. J’ai essayé toutes sortes de configurations différentes, sans succès. Il me plante un couteau dans le dos, le traître. Ajoutez à ça que mes jambes refusent d’accepter le fait qu’elles ne peuvent pas aller à la même vitesse alors que je porte quelque chose de lourd, et vous avez comme résultat que j’alterne entre courir toute rouge en grognant et jeter mon sac pour me rouler par terre. Heureusement, la montée ne dure que 2 heures, et, comme les chevaux, je peux bientôt sentir l’écurie. Quoique dans ce cas, c’était peut être plutôt l’odeur des toilettes sèches à côté de notre logement pour les deux prochaines nuits: le “Lean-to” numéro 6.
Les fameuses toilettes proches du lean-to numéro 6, vues ici dans la douceur du crépuscule
2-Dormir comme une princesse
Je viens juste de réaliser que je ne me suis pas brossé les dents. Et vous savez-quoi ? Je m’en fous. Je suis bien trop confortable pour ne serait-ce que penser à sortir. En plus, j’ai tellement mangé que je peux à peine bouger. Et puis je me sens comme une princesse. Certes, les princesses n’ont généralement pas une haleine de soupe de poulet au riz, et ne sont pas supposées puer comme si elles avaient monté une montagne sans se doucher, mais je me sens malgré tout comme une princesse. Je suis perchée sur un matelas gonflable bien épais, dans un gigantesque sac de couchage fait pour des nuits arctiques ou je suis bien au chaud et dans lequel je peux tenir 3 ou 4 fois. Je serre dans mes bras une gourde remplie d’eau chaude. On m’apporte une tasse de chocolat chaud. Quand je vous dit que je suis traitée comme une reine !
A l’intérieur du Lean-to numéro 6…
3-La tempête
Le vent enragé hurle d’un ton sinistre, secouant les arbres et faisant tourbillonner la neige en tout sens. La visibilité est très basse. Les sapins autour du campement sont à peine discernables dans la tempête. Les montagnes, quant à elles, sont perdues dans l’épaisse blancheur des nuages.
À l’intérieur de l’abri rustique, des décisions de vie ou de mort sont en train d’être prises.
“Oreo ou régulier, ton oeuf en chocolat ? Il ne reste qu’un seul Oreo…
-Régulier ça me va très bien, dis-je.”
Quelqu’un pousse un léger soupir de soulagement. Quoiqu’il en soit, j’ai déjà mangé 3 portions de gruau, et je suis en train de tartiner abondamment un wrap de faux-nutella (sans huile de palme!), donc je suis pas mal certaine de ne pas être capable de manger l’oeuf en chocolat dans un futur proche.
Le sommet nous semble compromis pour aujourd’hui…
Veuillez noter que je ne suis pas responsable des croyances du Tyrex concernant la nourriture en montagne…
4-Le matériel
Une heure plus tard, j’ai finalement trouvé la force intérieure de manger l’Oeuf en chocolat. J’ai failli me briser des dents sur la crème gelée, mais mmh, du sucre!
La neige s’est arrêté, le ciel s’est considérablement éclairci, et les guides nous ont annoncé qu’après tout, on pourrait faire le sommet. Il faut donc mettre tout le matériel, et ça prend beaucoup de temps… Harnais, crampon, toutes les couches et tout (dans le bon ordre, évidemment). Nous avons seulement un sac de jour avec quelques noix et un manteau chaud pour le sommet, mais il a quand même fallu que je m’y reprenne à 5 fois pour le faire correctement. Quel talent n’est-ce pas ! Donnez-moi trois objets et un sac, et je m’occupe avec pendant des heures !
Oh les belles griffes !
5-Prémonitions
Nous sommes en train de descendre pour rejoindre le chemin du sommet. Je suis saisie par une prémonition soudaine: ce soir, nous allons maudire ces 10 minutes… Mais pour l’instant, c’est plutôt agréable. La température est douce, les arbres sont joliment saupoudrés de neige.
Bientôt, la longue montée au sommet commence.
Une section est très difficile, et nous devons l’escalader pour de vrai, avec piolet et les crampons avant. Je comprend pourquoi on a fait toutes ces initiations avant ! Je ne suis pas tombée. Je ne me suis pas si mal débrouillée au final, par contre, je n’étais pas vraiment détendue au cours de l’escalade, et certains de mes muscles sont intensément douloureux. Mauvaise nouvelle : ce sont des muscles dont j’ai besoin pour continuer à monter. Ouille.
“Alex, dis-je après un temps de réflexion, est-ce qu’on descend par le même chemin?”
Il semblerait que oui. Mmmh. Je sens venir une autre prémonition à propos de ce soir…
Mon piolet, profitant de la vue après avoir été brutalement manipulé…
6-Un Mollusque Alpin
Nous sommes à présent dans la partie Alpine, ou la végétation tordue a laissé place à des rochers et de la neige dure. Nous progressons en faisant des S sur la pente. À chaque changement de direction, il faut transférer le piolet d’une main dans l’autre. Tout se passe plutôt bien, jusqu’au moment ou je n’y vois plus rien à cause de la condensation sur mes lunettes.
Officiellement la photo la plus cool du week-end !
Très bien, me dis-je, je vais m’arrêter et mettre mon masque de ski qui est dans mon sac !
Hélas, en m’arrêtant et en essayant de m’asseoir dans la neige, j’ai soudain réalisé deux choses:
-cette pente est drôlement abrupte. Vous connaissez ces pentes qui sont comme “Comment allez-vous ma chère” tout ça et qui, en fin de compte, sont traîtres ? Celle-ci est plutôt du genre “Ah-ah, tu n’avais pas compris que j’étais une falaise!” et de là ou je me trouve, est absolument terrifiante.
-cette pente abrupte est drôlement glissante !!
De toute évidence, la photo précédente a considérablement aplati la montagne.
Je me suis sauvagement agrippée à mon piolet et je suis restée ici, pétrifiée sur la neige. Non pas comme une bernique faisant une petite sieste sur son rocher, mais plutôt comme une huître qui sent un citron. C’est à ce moment précis que j’ai sérieusement considéré la possibilité de me rouler en une boule de plume et d’attendre que ma maman vienne me chercher. Heureusement, Jo le guide m’a sauvé la vie. Merci, Jo !
7-Le Sommet
Houra ! On a réussi ! dis-je en voyant le parking vide. Puis j’ai instantanément regretté d’être au sommet.
Pour ceux d’entre vous qui ne connaissent pas le Mont Washington: laissez-moi vous dire que ce sommet n’est pas l’endroit le plus agréable où arriver. D’abord, il a la réputation d’être témoin de la pire météo du monde, et même si je n’y aie été que deux fois, je trouve que c’est bien mérité. Aussi, parce qu’il est accessible en voiture, vous y êtes accueilli par un parking en béton, ce qui, il faut bien le dire, est pas mal décevant quand vous avez juste grimpé 5 heures dans la neige.
Cependant, je ne pensais ni au parking, ni à la vue, ni à rien du tout, parce que le vent était si fort que j’avais peur d’être emportée à chaque pas. Pourtant, chez lecteur, même si je suis une petite Chouette, je suis très dense et pas particulièrement légère !
Toutes les photos prises au sommet du Mont Washington ressemblent à ça
Encore une fois, merci aux guides de m’avoir sauvé la vie.
C’était tellement froid la-haut, même protégés du vent, qu’il nous a fallu faire la Macarena et la Danse des Canards pour nous réchauffer. Nous n’y sommes pas restés longtemps.
8-Le coucher de soleil
Nous avons fait la section alpine de la descente tous encordés, sauf un guide. C’était tellement beau…
Prendre une photo en étant encordé est… comment dire… gênant, parce qu’il faut que tout le monde s’arrête, forcèment…
Le soleil se couchait derrière la montagne, et la lumière était magique. La vue s’étalait devant nous dans toute la splendeur des doux scintillements colorés du soleil couchant, comme si quelqu’un utilisait un variateur de lumière et une boule disco à la fois (vous avez cru que j’allais être poétique pendant une seconde, non?)
C’est toujours pareil avec les randonnées difficiles: il y a toujours un instant tellement pur et parfait qu’il vous fait oublier les heures de souffrance et de froid qui ont précédé…
9-Descente de nuit
Par contre, qui dit magnifique coucher de soleil dans la section Alpine, dit nuit dans la forêt (c’est un proverbe très connu par chez nous). Heureusement, un des guides avait sa frontale. Merci encore Jo, pour nous avoir sauvé la vie à tous. Entre la neige et la grosse belle lune rouge et brillante, ce n’était pas si sombre, mais la section difficile qu’il a fallu dé-escalader était rendue plus impressionnante par l’obscurité.
Je suis passée en dernier, et Jo m’a guidé pas à pas. Encore une fois, ça s’est plutôt bien passé au final. Essentiellement, ça a fait:
“Est-ce que mon pied gauche est bien placé?
-Oui, ton pied gauche est bien placé. Maintenant tu peux bouger ton pied droit.
-Je peux le mettre ici?
-Oui, tu peux le mettre ici.
-Est-ce que mon pied droit est bien placé ?
-Oui, très bien. Maintenant, bouge ton piolet.
-Ici ?
-Oui, très bien. Sur ta gauche, il y a une belle marche ou tu peux poser ton pied gauche maintenant, et…
-Est-ce que mon pied est sur la marche maintenant?
-Euh non, il est dans le vide la…
-Oh, oups! Et mon pied gauche, il est bien placé ?”
Donc merci à Jo pour m’avoir sauvé la vie, et aussi pour avoir fait preuve d’une grande patience en me la sauvant.
10-La première prémonition se réalise
Vous vous souvenez qu’au début de la montée, nous avions descendu pendant 10 minutes ? Eh bien, j’avais complètement oublié tellement j’étais concentré sur le dégrimpage. Le sentier était large, la nuit claire, les étoiles brillaient là haut et toutes ces sortes de choses, mais pour être honnête, ces 30 minutes étaient difficiles. Mes jambes roulaient sur les batteries de secours, j’avais faim, soif, j’étais grognon, épuisée et tout le toutim.
Quelle joie, quel bonheur en apercevant dans la nuit, la forme familière du lean-to numéro 6!!
Mon émotion en apercevant le Lean-to numéro 6 cette nuit-là
11-Invoquer Dieu
Ça tombait bien qu’on soit Pâques, parce que nous avons invoqué Dieux à de nombreuses reprises et sous des formes variées toute la soirée. En enlevant notre crampons, nos bottes, nos casques, en changeant nos vêtements, en nous asseyant, en nous levant, en restant affalé dans des coins… Mon dieu ! Seigneur ! Doux Jésus !
Petite anecdote: dans le froid, quand vous enlevez vos bottes, vos pieds fument comme des bébé dragons. De la fumée sort aussi de votre bouche, nez, sac de couchage… C’est très amusant, surtout les pieds !
Si vous voulez essayer à la maison, je ne sais pas, mettez vos pieds dans le congélateur après un bain chaud ?
Ce soir là, nous avons eu vraiment froid. La nuit était froide, mais c’était surtout nos corps qui étaient épuisés. (sauf les guides, qui nous ont sauvé la vie en cuisinant et chauffant de l’eau et tout). Nous, les clients, étions enveloppés dans nos sacs de couchage et très silencieux en mangeant.
Encore une fois, j’ai tellement mangé que je n’aurais pas pu bougé si j’avais voulu. Ce soir là, la bouteille chaude blottie au creux de mes bras, je suis tombée abruptement dans un sommeil tellement profond que c’était plus un coma qu’autre chose…
12-Le retour
Au réveil, quand je me suis étirée, chaque centimètre de mon corps était douloureux. Ça m’a pris très longtemps pour accepter le fait qu’il fallait que je sorte de mon lit de princesse et que je fasse face au monde froid et inhospitalier. Heureusement, j’étais encore traitée comme une reine, et la réception d’une tasse de chocolat chaud au beurre, j’ai quand même réussi à m’extirper de mon nid.
C’était un de ces matins exceptionnels, où le soleil brille, les oiseaux chantent, le ciel est bleu et tout est net et souris à la vie. Mon coeur ne chantait pourtant pas avec les oiseaux… Je craignais fortement la descente par Tuckerman Ravine, avec mon sac à dos, et mes jambes toutes flagadas… Tout s’est cependant très bien passé, mes jambes ont redémarré sans problème !
On peut entendre les oiseaux chanter sur cette photo !
Nous nous sommes arrêtés à Gorham pour manger une pizza. Gorham est un petit village proche du Mont Washington. Vous savez, il y a quelque temps, Gorham a été ravagé par une vague de crimes, mais tout va bien maintenant, grâce à un justicier qui a pris les choses en main. Le fameux héros de Gorham. Barman.
…Le héros que Gorham mérite?
Hum.
…
C’EST LA MEILLEUR BLAGUE DE TOUTES LES BLAGUES ET J’EN SUIS FIÈRE !