Les Jardins Butchart

La journée n’a pas commencé du bon pied, pour ainsi dire. La navette qui nous a conduit aux Jardins Butchart était en proie à une tornade de glace d’air climatisé, tellement intense qu’il nous a fallu nous envelopper dans tout ce que nous avions pour nous protéger de ce blizzard inattendu. Il y avait aussi un conducteur dépressif qui marmonnait continuellement et très fort dans un micro saturé. C’était à la fois assourdissant et incompréhensible. Le pauvre homme lui-même semblait terriblement attristé par tout ça. Il parlait comme s’il commentait un documentaire sur la tombe d’un enfant dans un vieux cimetière. Pour autant que je sache, c’était peut-être son sujet, mais je ne pense pas, parce que j’ai cru l’entendre parler de golf. Sauf si le pauvre enfant en question avait subi un accident sur le green, ce qui serait tragique.

À notre arrivée, nous étions donc fortement bouleversées par le trajet de 30 minutes. Après avoir pris un moment pour lisser nos plumes et nous remettre de nos émotions, nous sommes entrées dans les fameux Jardins Butchart.

Butchart Gardens est un jardin proche de Victoria, d’une renommée mondiale. Une des principales attractions touristiques de l’endroit. CNN, National Geographic et USA Today n’en disent que du bien. Je m’étais dit, vous savez, j’aime les fleurs, Maman aime les fleurs, c’est un gros jardin avec des milliers de fleurs, je ne vois pas ce qui pourrait mal se passer !

Vous voyez ? Des fleurs, des jolies fleurs !

Selon le site du jardin, un million de visiteurs y viennent par an. D’après moi, ils étaient tous dans le jardin, avec nous, ce jour précis. Entasser la population d’une ville dans un chemin étroit entouré de fleurs n’est pas exactement propice à une méditation paisible. En plus, tous ces gens semblaient fous de joie et très excités d’être dans le jardin, criant et s’appelant les uns les autres tout en nous écrasant les pieds, et sans montrer d’intérêt particulier pour regarder les fleurs de très près. Essentiellement, ils prenaient des photos. D’eux-mêmes. A côté des fleurs qu’ils ne regardaient pas. Tout en vous mettant leur selfie stick dans l’œil.

Ne regardez pas cette photo de trop près, il y a des gens dedans !

Pas de méditation paisible, non. Pour ce qui est d’une ballade tranquille, c’était l’équivalent d’une file sans fin un jour de grands soldes devant une boutique sans stock.

Imaginez un peu: vous apercevez une fleur à une distance d’environ 10 mètres. Ça vous prend environ vingt minutes pour accéder à la fleur, et en ce laps de temps, vous avez été poussé dans les genoux par une poussette, un enfant désagréable vous est rentré dedans 4 ou 5 fois, des porteurs de selfie stick furieux vous ont atteint à divers endroits sensibles de votre anatomie, trois couples différents, ainsi qu’une famille, vous ont demandé de les prendre en photo, puis encore une photo avec Tata Charlotte, vous avez dit Pardon vingt fois, en gros, vous êtes contusionné, battu, sourd, aveugle, et confus. La fleur elle-même, la pauvre, a l’air de s’excuser. Elle préférerait sûrement avoir un oiseau ou une abeille comme compagnie, plutôt que le flot incessant d’éléphants enragés.

Ça m’a pris 5 minutes et un blocus pour pouvoir prendre cette photo…

Ceci dit, les jardins eux-mêmes sont absolument magnifiques. Ne faites pas attention à mes râlements, c’est juste que je n’aime pas les foules !

De retour à l’hôtel, je me mis à la recherche d’un restaurant intéressant qui serait ouvert un lundi soir, avec la Chouette Blanche disant tour à tour Comme tu veux, ça m’est égal, et Ah non pas ça. Au bout de quelques heures, je grognais:

“Je ne sais vraiment pas où on pourrait manger…

-Tu as parlé d’un Fish&Chips ? demanda timidement la Chouette Blanche.

-Oui, mais tu sais, ce n’est pas un restaurant, c’est sur le port, et tu prends ton poisson à emporter…

-j’ai toujours rêvé de manger un Fish&Chips à l’anglaise, dans un papier,” soupira t ’elle.

Après l’avoir regardée fixement quelques instants, je m’exclamais:

“Eh bien, allons réaliser ce rêve !” et nous partîmes pour le port.

Ce n’était pas n’importe quel Fish&Chips. C’était le meilleur Fish&Chips de Victoria, qui s’appelle Red Fish Blue Fish, et il y avait une longue file d’attente. Nous avons attendu pendant des heures, et j’aurais abandonné depuis longtemps sans la Chouette Blanche, qui voulait vraiment son Fish&Chips. Ça en valait la peine. C’était délicieux, et ils étaient souriants, patients, et très sympathiques. Franchement, on devrait tous s’arrêter maintenant, les applaudir bien fort, et leur donner une médaille. Et d’autre applaudissements. La Holà aussi. Travailler pendant des heures dans une boîte en métal avec du poisson frit, sans pause, avec une ligne d’attente sans fin, et rester patient, souriant, avec un mot gentil et des grands sourires pour chaque client ? Encore d’autres applaudissements pour eux, s’il vous plaît !

(Et oui, c’était délicieux !)