La Traversée de la Lune

La journée a commencé sous la pluie, ce qui m’a donné l’occasion de sortir ma casquette et d’avoir l’air un peu plus ridicule que d’habitude.

Car oui, cher lecteur, au risque de décevoir, j’ai l’air particulièrement ridicule en trek. Je me sens très classe, grandiose, héroïque et tout, et je préfère ignorer le fait que j’ai l’air d’un épouvantail.

D’abord, j’ai des guêtres jusqu’au genou. J’adore porter des guêtres. Quand je les fixe à mes bottes, j’ai la sensation d’être une aventurière alpiniste qui va conquérir l’Everest !! Par contre, je porte un pantalon très approprié, chaud et imperméable (merci Josée !) qui a cependant l’inconvénient de ne pas être à ma taille, et dont d’être bouffant aux cuisses, et de retomber en muffin sur mes genoux. L’ensemble guêtres et pantalon me fait ressembler à un tout petit résistant qui a volé l’uniforme d’un grand officier de la Waffen Schutzstaffel, du moins en bas. Au milieu, il y a ma fameuse veste de pluie d’un bleu ciel agressif (pour être sûre qu’on me repère d’une montagne à l’autre), avec les poches gonflées par divers objets. Ajoutez à ça une veste bleu fluo et des plumes dans tous les sens…

Bref.

Le Canyon

Yoan nous a fait passer dans une fissure entre 2 parois rocheuses. La trouée était très étroite par endroit, et il fallait enlever son sac à dos et le faire passer en premier, puis ensuite se contorsionner pour se glisser entre les roches, ou les escalader, et même une fois, ramper en dessous. Les parois sont noires, le sol est en sable fin noir, et c’est toute une petite aventure. Tellement palpitant que nous nous arrêtons au milieu, adossés à la roche, à l’abri de la pluie, pour notre pause thé et gâteau matinale.

Et quand nous progressons à nouveau dans ce que j’appelle le canyon, les parois de chaque côté rapetissent et rapetissent graduellement, restant juste assez large pour permettre à une personne d’y marcher. Ça me donne la sensation de grandir, grandir grandir, jusqu’à devenir une géante qui marche dans un de ces canyons qu’on voit dans les westerns, mais qui serait noir, et pas orange, et je serais grand grand grand, et les cow-boys minuscules !!! Voyons… je serais… pas Gulliver, déjà il est de taille normale, puis en plus, je ne l’aime pas ce type-là… je serais… Godzilla !!! Voilà, je suis Godzilla, et je marche avec mes petits bras dans un canyon qui conduit à Tokyo, pour aller écraser des buildings (il me semble que c’est le travail d’un Godzilla non?)

Vision de l’artiste – je ne sais pas pourquoi, mais Godzilla ressemble fortement à un Tyrex…

Yoan secoue la tête. Oui, on est au troisième jour du trek, et je suis passée de “Quel est l’impact de la géothermie sur l’économie islandaise?“ le premier jour, à “OH UN MINI CANYON AHAH JE SUIS GODZILLA RRR“.

La rivière glacée

J’étais pourtant prête, et enthousiaste à l’idée de traverser une rivière… Sous les pieds, le fond était si doux, d’un sable gris-brun fin et délicat, et la mousse autour de la rivière était moelleuse et confortable… L’eau, laiteuse et immobile, était FROIDE. Après le premier pas – ah non, ça va – et le deuxième – ah non, c’est froid, aie – j’ai vite traversé en grognant avant de me rouler dans la mousse au soleil pour sècher. Pendant ce temps, Mathilde, qui visiblement apprécie la sensation d’avoir des gobelins qui lui mordent les mollets, gambadait joyeusement dedans en s’exclamant que c’est trop cool, et ça fait du bien !

Quelle journée… une journée où l’on marche d’horizon en horizon, traversant d’immenses étendues de cendre et de mousse, dans des paysages lunaires.

On me montre une vallée ou Prometheus a été filmé. Et oui ca ressemble à une autre planète….

Peut-être pas la place exacte, mais dans les environs !

Pour ceux qui ont vu le film : j’ai fait le test, certes je n’avais pas de vaisseau en forme de roue qui me roulait après, mais je n’ai eu aucune difficulté à changer de direction plusieurs fois, donc ce n’est pas de la faute du terrain…

LES ALIENS NE SONT PAS DES ANIMAUX DE COMPAGNIE!! Laissez les Aliens sauvages vivre leur vie !

C’est aussi la plus longue journée de marche du voyage, plus longue que difficile, mais c’est un soulagement de s’asseoir au refuge.

Ce soir là, la vue de notre refuge…

Ma fatigue ce soir là – tout à fait justifiée – explique donc :

  • Ma fascination pour la nappe du refuge (il y a des familles hiboux !! un hibou qui a une moustache sous le bec ! un hibou célibataire avec un col rond !!!)

  • La disparition d’une quantité non négligeable de gâteau, qui, ma réputation étant solidement établie, m’a été entièrement attribuée
  • Ma chute à table, causée par un problème de répartition de mon postérieur sur un banc étroit.
  • La poésie tout simplement éthérée de mes notes ce soir-là

Extrait de mes notes, avec photo du lac décrit :

On a vu un autre lac avec des jolies petites fleurs et des montagnes rouges et vertes et des plaines noires.

Techniquement pas faux

La journée n’était pourtant pas terminée ! A la nuit tombée, le ciel dégagé s’est illuminé, et les aurores, d’horizon à horizon, ont dansé pendant des heures… Il fait froid, je m’enrobe dans tout ce que je possède, enroule mon duvet par-dessus le tout, et lutte contre la fatigue pour en regarder quelques instants de plus, sans en croire mes yeux. Les guides eux-mêmes ne s’en lassent pas, et disent que pour une aurore, c’est vraiment une grande belle, et je me sens la plus chanceuse de tout l’univers.

Plus loin dans le camping, des islandais jouent au golf à la lumière des phares de leur voiture, rient fort, écoutent de la musique, et regardent ça comme quelque chose de banal.

J’imagine qu’une aurore boréale pour un islandais, c’est un peu comme la neige pour un québécois (certes, en moins pénible à pelleter !): c’est là tous les ans après tout.

Peut-être, en ce moment même, un islandais expatrié lève les yeux vers le ciel fade et pollué de Paris, Londres ou New York, et soupire, le cœur lourd. Chez moi, dit-il, quand les conditions sont favorables et les nuages s’écartent, chez moi, le ciel danse. Timidement, lentement, une pâle lumière blanche irisée de vert et de rose se diffuse, s’intensifie imperceptiblement avant de bondir en rayonnant et d’inonder la voûte céleste… et danse et danse…