“Les gars? dis-je pensivement, mon corps entier contracté comme si je m’étais transformée en statue tremblotante, agrippée à la paroi de glace comme une huître à son rocher, le pied gauche ballottant dans le vide, le pied droit calé précairement dans de la glace fragile. Les gars, dites-moi, au fait, pourquoi je fais ça ?
-C’est pour sortir de ta zone de confort, répond une voix en dessous.
-Ça se passe très bien ! dit une autre voix. Installe ton pied gauche !”
Mon pied droit glisse, je tombe à plat contre la paroi et y reste, tel une étoile de mer sur le sable, accrochée à mes deux piolets.
Voyez-vous, cher lecteur, je ne pense pas faire ça pour sortir de ma zone de confort. Pour moi, sortir de ma zone de confort, c’est plutôt faire quelque chose d’impensable comme aller à un rendez-vous, ou dans une foule. Non, je suis assez confortable à l’escalade, sauf bien sûr, physiquement, parce que mes genoux sont couverts de bleus et bosses, certains de mes muscles ont juste décidé d’arrêter de fonctionner, chacun de mes mollets a une empreinte de crampon dedans, et je me suis cognée à ce mur de glace avec toute la surface disponible de mon corps.
“Place tes pieds”, dit une voix très patiente.
La voix vient de là… Enfin, une fois au sommet bien sûr!
Je remue mes jambes dans diverses directions, frappe la glace (encore une fois, avec mon genou), et essaie de me souvenir de la position dans laquelle mes pieds sont censés être tout en égratignant inutilement la surface lisse.
“Prend ton temps !” ajoute la voix d’un ton rassurant.
Du coup, je retourne à mon ancienne posture de bernique* et reprend le cours de mes réflexions.
Peut-être est-ce parce que j’aimerais être comme ces gens amoureux de plein air qui font de la randonnée, et de l’escalade, et du canot et tout. Je suis déjà limitée par l’eau, dans laquelle je n’arrête pas de me noyer, du coup je suis vexée d’être aussi limitée par la verticalité parce que je suis naturellement très mauvaise pour escalader. On dirait que mon cerveau n’enregistre pas les déplacements verticaux comme des actions, mais décide de contracter mon corps entier à la place. Stupide cerveau.
Je frappe la glace sauvagement avec mon pied gauche et – miracle – ça marche!
“Bien ! dit la voix. Maintenant, pour ton pied droit, il y a un endroit pour le poser juste au-dessus de ton genou.”
La voix appartient à Alex, le guide/instructeur qui m’assure, et qui reste imperturbable et calme alors que j’ai mis environ 30 minutes pour monter d’1m. Pourtant, il a sûrement froid, et il doit s’ennuyer très fort, à moins qu’il ne trouve ça intéressant de regarder une bernique énervée qui ne met jamais ses pieds comme elle doit, même si on lui a répété 150 fois comment faire. C’est ma deuxième ascension de la journée, et ma première était encore plus lente. Oh, aussi, à la fin de la première, alors que j’étais (enfin) arrivée en haut et qu’il me faisait descendre, je me suis retrouvée la tête en bas, à pendouiller bêtement comme une chauve-souris perplexe, tellement je suis incroyablement inepte pour tout ce qui concerne l’escalade.
NON NON, TOUT VA TRÈS BIEN!!!
Quoiqu’il en soit, mon pied droit est plus ou moins stable, alors je rassemble mes forces pour pousser mon corps – qui de plus en plus me semble être un bloc de béton – vers le haut.
Maudit mur de glace, me dis-je. Maudite montagne. Je suis arrivée en haut une fois, eh bien je vais y arriver une deuxième. Certes, la première fois c’était par pure volonté de fer et que je l’ai fait fondre avec ma rage, mais je peux le refaire !!
AAAARRRRRRHHHHHHH!!!!!
ÇA MARCHE ! ÇA MARCHE ! JE MONTE ! JE….
Je glisse et tombe à nouveau, rebondit contre le mur, le frappe avec le dos, et un de mes piolets m’échappe et dégringole sous mon regard horrifié.
…
C’est comme ça que je l’ai vécu, mais concrètement, j’étais à peine à 1m du sol.
Heureusement, il n’a blessé personne, mais il est tombé dans un trou, et le deuxième guide a dû aller le chercher, et je suis vraiment désolée Jo!!!
Cette fois-là, je n’ai pas atteint le sommet. Mais j’essaierai encore parce que je suis une Chouette têtue, et je compte bien vérifier régulièrement si mon cerveau n’a pas changé d’opinion en ce qui concerne la verticalité.
La vue du haut du mur (photo prise par Alex. J’aurais sûrement lâché mon appareil photo)
Malgré les bleus, c’était une très belle journée. Les instructeurs sont très patients, rassurants, et prennent bien soin de nous, avec des boissons chaudes et des conseils réconfortants. Donc même si vous êtes inquiets, ou pas sûr que ce soit pour vous, cher lecteur, n’hésitez plus, si vous voulez essayer l’escalade de glace, essayez avec InspireA+ ! Je suis certaine qu’il n’y a pas de meilleur moyen pour essayer, ni de meilleurs instructeurs !
Oh et aussi, je serai la, et vous pourrez rire tandis que je suis emmêlée dans la corde la tête en bas en insultant la montagne. Je rirais avec vous.
Merci InspireA+! 🙂
*La bernique est un mollusque à coquille conique comestible. Ce terme de zoologie désigne un gastéropode marin qui se fixe aux rochers. Cette dénomination est utilisée en Bretagne, ailleurs la Bernique est appelée patelle.