Si hier nous l’avons seulement rencontré, aujourd’hui l’Hekla domine le monde. Pendant des kilomètres, le sol est recouvert de cendres sablonneuses, la progression est difficile, et la silhouette du volcan toujours plus proche…
Oui nous nous rapprochons des portes de l’enfer… Au dessus de nous, le ciel change constamment, les nuages défilent rapidement sur son sommet, tandis que nous traversons les grandes plaines noires, longeons un lac limpide (mais hum froid!!!)
L’Hekla est toujours là, mais à présent nous lui tournons le dos: nous ne nous approcherons pas plus. Les portes de l’Enfer sont fermées.
On dirait vraiment que les nuages veulent le manger !
Les trolls
Nous traversons ce jour là plusieurs coulées de lave : il faut rester proches les uns des autres, on pourrait s’y perdre facilement, et la progression y est difficile. La lave s’est arrêtée en refroidissant et a formé des sortes d’amas de monticules sur le dessus desquels une jolie mousse s’est agrippée. Très difficile à décrire.
Et très difficile à photographier…
Imaginez une armée de trolls… Admettons pour les besoins de la cause, des trolls plus ou moins de l’espèce Tolkien*.
L’éruption a commencé. La terre tremble, le ciel est noirci par l’immense nuage de cendres qui cache le soleil. Jaillissant des cratères gigantesques de l’Hekla, des milliers et des milliers de trolls fuient la fureur du volcan, emportant avec eux armes et bagages, femmes et enfants. Regardez-les envahir la plaine et avancer encore : ils sont de toutes les tailles, les plus grands faisant la taille de 3 ou 4 Dwayne Johnson**, les plus petits, celle d’une poule. Certains sont sur leurs montures (troll elle aussi), d’autres à pied. Ils portent leurs baluchons, leurs enfants, leurs parents, et ils envahissent la plaine, avançant toujours, abandonnant leurs villages et affrontant le jour, pourtant mortel pour eux, par désespoir.
Mais regardez, face à l’Hekla, la silhouette de leur pire ennemi se dessiner dans l’obscurité surnaturelle. Regardez le mage lever le bras, et d’un geste puissant, déclamant un sort d’une voix forte, disperser les nuages de cendres.
You shall not pass ! Or flee death !
Les cendres tourbillonnent et remontent, et un rayon de soleil perce soudain les ténèbres, suivi par un flot d’éblouissante lumière. Les trolls courent, se bousculent, leurs montures se dressent dans la panique, certains se roulent sur le sol dans leur désespoir, l’air vibre de leurs cris… mais pendant un très court instant seulement, car déjà les voilà tous silencieux et figés, transformés en pierre.
Les millénaires qui passent adoucissent leurs formes torturées, les arrondissent, on peine à reconnaître les créatures, la terre les recouvre, et enfin, une jolie mousse leur pousse dessus.
Mais allez-y, et regardez-les bien, et vous les verrez, figés pour toujours. Et la nuit, leurs descendants descendent de l’Hekla et viennent leur rendre hommage, et s’ils vous trouvent profanant leurs ancêtres, ils vont sûrement vous manger.
Bouilli ou rôti, ça je ne pourrais pas vous dire…
Pour de vrai !
* Selon Wikipédia : Dans Bilbo le Hobbit, ils sont décrits comme très grands (une bonne dizaine de mètres de haut), puissants, laids et particulièrement stupides. Leur peau épaisse les protège des coups, mais ils se transforment en pierre sous les rayons du soleil. Ils vivent dans des cavernes où ils amassent des trésors, tuent pour le plaisir et mangent homme, hobbit, nain ou elfe dès qu’ils peuvent.
**Le Dwayne (The Rock) Johnson est une unité de mesure qui exprime non seulement la hauteur, mais aussi la largeur et circonférence. Le Dwayne (The Rock) Johnson peut aussi être utilisé comme mesure de charme, auquel cas les trolls ont une valeur très négative.
La marche continue: le paysage retrouve ses couleurs alors qu’on s’éloigne du volcan. Les coulées de lave passées, notre groupe s’étale : impossible de se perdre quand on peut voir d’un monde à l’autre… Tout est beau, tout est calme, quand soudain…
Les moutons
Histoire de Bob, le mouton Islandais
Bob était un jeune mouton à l’orée de son premier automne, qui avait passé sa vie paisiblement auprès de sa famille sur les plaines autour de l’Hekla. Il ne connaissait que le goût délicieux des mousses et pousses odorantes de son pays natal, et n’avait jamais, jusqu’à ce jour terrible, vécu aucune épreuve.
Mmmmiam!!
La journée était pourtant douce et ensoleillée, et Bob avait décidé, dans un élan d’indépendance, de s’éloigner du troupeau pour explorer le monde par lui-même. Tout était calme. Il avait passé quelque temps à ruminer en observant des oies apprendre bruyamment à leurs oisons comment rester en formation, et se dirigeait vers un lichen particulièrement appétissant quand soudain, à l’horizon, apparut un groupe d’humains.
Le cœur battant, Bob se fige. C’est la première fois qu’il voit des humains si proches, et il n’a même pas la protection du troupeau. Il tremble. Les histoires que les moutons plus âgés lui ont racontées lui reviennent à l’esprit : vont-ils m’attraper, me tondre et m’abandonner tout nu sur la montagne ? Ou pire, vont-ils m’emmener à l’endroit dont aucun mouton n’est jamais revenu ?? Que faire ??
Tandis que Bob hésite, les humains passent et atteignent l’horizon.
« MAMAAAA » appelle Bob, qui n’ose toujours pas bouger.
« Booob ! répond aussitôt sa Mama, Bob où es-tu !! Attention à toi, il y a des humains en liberté !!! Rejoins nous !»
Mama de Bob (centre)
Bob, soulagé, trotte vers la voix, et accélère pour rejoindre sa famille, mais s’arrête subitement, paralysé de terreur : la silhouette menaçante bleu fluo d’un humain se dessine sur le ciel, lui coupant le chemin, et s’approchant inexorablement de lui.
« MAMAAAAAA!!!
– BOOOOOOOB !! Viens vite !
– Mamaaaa je peux pas ya un humain terrible humain aaah !!
– Bob, mon fils, tu peux le faire !! Rejoins-nous !»
TANT PIS se dit Bob. Je tente le tout pour le tout. Adieu monde cruel. Et Bob, prenant ses pattes à son cou, court de toutes ses forces vers sa Mama, et droit vers l’humain.
L’humain s’arrête. Euuuh, c’est moi ou ce mouton est en train de me foncer droit dessus ? Ah mais non, il me fonce vraiment dessus… Mais, pourquoi moi ? Et euh, c’est quoi la procédure en cas de charge de mouton ?
Du point de vue de la Chouette
Dans sa course effrénée, Bob crie de toute ses forces ‘’MAAAMMAAAAA’’ et passe à toute vitesse à un mètre de l’humain qui, retrouvant du coup l’usage de ses facultés, prend son appareil et immortalise son arrière train pour la postérité.
Les fesses de Bob
Bob, intact, a maintenant rejoint son troupeau. Il a une courte discussion avec sa mère – il y a clairement quelques ‘’je t’avais bien dit’’ dans le dialogue – puis il disparait. Il aura appris ce jour-là une importante leçon : l’indépendance a un prix.
L’humain aura appris une leçon aussi : c’est marrant quand ça court un mouton ! Mais c’est plus marrant quand ça court de dos que de face !
Extrait de mes notes:
Est-ce que les moutons savent qu’ils sont dans un endroit aussi beau ?
C’était ma journée préférée.
Le soir, nous sommes tous plus détendus, comme si dès le deuxième jour, on se connaissait depuis 10 ans. Les guides font un feu dehors, dans un trou dans la terre (il y a vraiment, beaucoup de vent en Islande !), et tout le monde chante. Brassens, Brel, des choses pires. Ils me font chanter aussi. Je chante une vieille berceuse de Chouette Bleue qui se mélange bien au vent et au craquement des flammes. C’est officiellement depuis 20 ans que nous sommes tous amis.